Manger seul et s’asseoir en solo : est-ce vraiment bizarre ?
Une chaise vide, face à une assiette fumante, peut soudain voler la vedette à tous les bavardages alentour. Les convives jettent un œil, mi-amusé, mi-interloqué : qui vient savourer son repas sans escorte, sans complice, sans prétexte ?
Entre l’image fantasque de l’aventurier libre et la crainte du regard des autres, s’attabler en solo fascine autant qu’il déroute. Certains imaginent une marginale, d’autres un héros minuscule. Derrière chaque assiette dégustée en solitaire, il y a une histoire, un choix, une urgence ou juste une envie. Ce n’est pas la solitude en soi qui gêne, mais bien le miroir qu’elle tend à la salle entière.
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Plan de l'article
Le manger seul perturbe et intrigue à la fois, en particulier là où l’on célèbre la convivialité. En France, un quart des gens mangent en solo, et près de la moitié avouent y trouver leur compte. Pourtant, dans la capitale, croiser un voyageur solo ou une femme seule au restaurant ne passe jamais tout à fait inaperçu. Loin de là : on observe, on jauge, parfois on soupçonne. Pendant ce temps, les Américains avalent plus de la moitié de leurs déjeuners en solitaire. Le Japon, lui, voit la pratique s’imposer avec calme : 20 % des habitants mangent seuls, 40 % préfèrent ce mode de repas.
Les normes sociales sculptent ces regards. Pour la sociologue Estelle Masson, la gêne viendrait d’une vieille règle : partager la table, c’est encore prouver qu’on appartient au groupe. Mais la vague des voyages solo – Millennials en tête – vient bousculer ces codes. Smartphones, messageries instantanées : la sociabilité mute, la frontière entre solitude choisie et isolement subi devient floue, presque poreuse.
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- En France : 25 % des personnes mangent seules, 50 % y trouvent parfois leur bonheur.
- Au Japon : 20 % s’attablent en solo, 40 % en raffolent.
- Au Canada : 4,4 millions d’adultes vivent seuls – 15 % de la population.
Le solo dining s’installe partout, de Paris à Tokyo. Les restaurants s’ajustent, les chercheurs auscultent les ressorts de la stigmatisation. La solitude, loin d’être un secret honteux, devient objet d’étude et parfois même de fierté. À mesure que la frontière entre sociabilité imposée et liberté individuelle s’efface, le repas en solo prend des airs d’émancipation.
Manger en solo : un choix personnel ou une nécessité imposée ?
Manger seul, contrainte ou petit luxe ? Pour certains, c’est la marque d’une autonomie assumée, un moment pour se retrouver. Les études d’Oxford Economics font le lien : les repas en solo, surtout chez les voyageurs solo ou les urbains pressés, boostent le moral. On se recentre, on s’offre une parenthèse dans le tumulte social, on écoute enfin sa propre faim.
Mais pour d’autres, la solitude alimentaire s’impose, parfois brutalement. Chez les seniors, l’isolement fragilise autant le moral que le corps. Selon Obesity Research & Clinical Practice, manger seul multiplie les risques cardio-métaboliques dans certains cas. Au Canada, 4,4 millions d’adultes vivent seuls : la ligne entre liberté et solitude forcée ne tient qu’à un fil.
Les mentalités évoluent. Mintel indique que 60 % des sondés se sentent à l’aise pour manger seuls dans un restaurant décontracté. Les Millennials et la génération Z portent cette tendance. Le restaurant n’est plus seulement un prétexte au partage : c’est aussi un refuge pour reprendre la main sur son temps, tester l’individualisation ou simplement suivre le rythme effréné de la ville.
- Bien-être : manger seul peut renforcer l’autonomie et la confiance en soi.
- Nécessité : la solitude subie, elle, pèse lourd sur la santé dans certains groupes.
Redécouvrir le plaisir et la liberté de s’attabler en solo
À Paris, New York ou Tokyo, le restaurant ne se contente plus d’être un lieu de partage. Il devient le théâtre du plaisir individuel. Les adresses s’adaptent :
- comptoirs, box individuels, cabines à la japonaise comme chez Ichiran, ou concept Eenmaal lancé à Amsterdam puis Londres ;
- côté Paris, des tables comme Rigmarole, Chanceux ou la sélection « Manger seul » du Fooding changent la donne.
Le regard sur la pratique mute. OpenTable recense une hausse de 62 % des réservations solo en deux ans. Les enseignes n’hésitent plus à valoriser cette expérience : Le Pain Quotidien, Chez Janou, et tant d’autres. Les expériences en solo séduisent les voyageurs, les indépendants, celles et ceux qui cherchent à savourer l’instant. Le mindful eating s’impose : on redécouvre textures, saveurs, rythme, rien d’autre qu’une rencontre avec soi-même et son assiette.
- Box ou comptoir : pour s’isoler ou engager la conversation avec l’équipe.
- Tables communes : la sociabilité devient un choix, léger, ponctuel, sans obligation.
À l’heure du numérique, la sociabilité prend d’autres formes. Les vidéos Mukbang, popularisées par Park Seo-yon ou Trisha Paytas, changent la donne : le repas en solo devient un spectacle partagé, virtuel mais bien réel, qui efface la frontière entre isolement et liberté.
Un jour viendra peut-être où la chaise vide ne fera plus sourciller personne. En attendant, chaque repas en solo grignote un peu les vieux codes – et, qui sait, ouvre peut-être l’appétit de toute une génération.